La Vaupierre et l’épisode des Autrichiens

Au début de l’année 1814, l’empire de Napoléon 1er s’écroule. Les armées de la coalition envahissent la France. Les Autrichiens occupent la région lyonnaise.

«A l’arrière des combats, les paysans d’abord indifférents furent exaspérés par les violences commises : ils s’armèrent de fourches, de faux, de fusils de chasse et attaquèrent en francs-tireurs ; en Lorraine, une colonne russe perdit 3 000 hommes sans avoir vu un soldat …».  [Cours d’histoire Malet-Isaac, période 1789-1851, Hachette 1950]

Un habitant de REYRIEUX du hameau de Fontaine-Bénite, Jean-Claude PERRET, a fait un «récit de la prise d’un poste autrichien à La Vaupière, commune de Saint Jean de Thurigneux».  [A ce jour, “La Vaupière” s’écrit “La Vaupierre” avec deux “R”; le texte du récit est retranscrit tel qu’il a été rédigé, avec un seul “R” et “E” accent grave, les cartes napoléoniennes de 1823 adoptent aussi cette orthographe].

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Voici ce qu’il écrit :

«Lors de leur séjour à Saint Jean de Thurigneux, les Autrichiens s’étaient emparés d’une grosse ferme dénommée La Vaupière et l’avaient fait occuper par une vingtaine de leurs hommes. Ces soldats au mépris de toute discipline, sortaient la nuit, armés et par petits groupes, parcouraient les campagnes, s’introduisaient de force dans les maisons isolées, où ils se livraient au pillage, au vol , au rapt et au viol.
Ils avaient, cependant, un chef qui eut dû se servir de son autorité pour les ramener dans le devoir, mais la rumeur courait que ce capitaine, ou les autorisait, ou ne faisait rien, du moins, pour les détourner de leurs mauvaises actions.

Notre indignation fût si grande en apprenant ces méfaits, que, de concert avec quelques citoyens de REYRIEUX et de POUILLEUX nous jurâmes de les faire cesser.
Nous nous assemblâmes au nombre d’environ cinquante, parmi lesquels se trouvaient les deux fils du propriétaire de La Vaupière ainsi que leur homme d’affaire, et nous décidâmes de prendre de gré ou de force le poste ennemi. Notre plan d’attaque fut ainsi conçu et arrêté : notre petite troupe, divisée en deux colonnes, se dirigeait sur La Vaupière par deux chemins différents : l’une par le chemin du bourg, l’autre par celui de l’étang Dumont. Elle tomberait à l’improviste sur le poste et tenterait d’enlever, sans coup férir, les armes qu’il contenait. Les Autrichiens étant alors désarmés, sans moyens de défense, seraient faits prisonniers et conduits à Lyon devant leurs chefs, à qui l’on dénoncerait leur infâme conduite.

Notre intention était d’agir avec prudence, ce plan ne réussit pas complètement, surtout en ce dernier point et il y eut des victimes de part et d’autre.
Pour le mettre à exécution, chacun s’arma de ce qu’il put se procurer. Quelques uns prirent des fourches, d’autres des faux, vingt-cinq seulement trouvèrent de vieux fusils de chasse ou de munition, avec quelques balles et un peu de poudre. Notre armement était bien imparfait. Pourtant, il s’agissait de combattre des hommes aguerris et fortement retranchés. Mais notre courage suppléait à notre pénurie et ne redoutait aucun obstacle.

Le 22 janvier, nous partîmes en bon ordre de POUILLEUX et nous arrivâmes à 1 heure et demi sur la chaussée de l’étang Dumont où nous attendaient les autorités de Saint Jean, que nous avions à l’avance informées de notre résolution. Nous leur expliquâmes le sujet et le but de notre prise d’armes. Ces Messieurs ne témoignèrent aucun blâme et nous dirent simplement : “Messieurs, vous êtes en force, nous vous laissons maîtres de vos actions ; nous nous retirons”.

De nouveaux renseignements nous avaient appris que le nombre de défenseurs du poste n’était plus que de dix huit environ, trois d’entre eux ayant été tués la veille dans une de leurs excursions nocturnes. Un espion vint encore nous informer qu’ils étaient en ce moment sans méfiance et se chauffaient dans la salle basse. Leurs armes étaient disposées en faisceaux au milieu de la pièce. Trois des leurs, considérés comme des domestiques du capitaine, se trouvaient au premier étage. L’heure de l’attaque semblait donc bien choisie ; elle eut lieu immédiatement.
Quinze de nos hommes les plus vigoureux avaient pour mission de surprendre le poste et d’en enlever les armes. Ils s’approchèrent donc sans bruit de la maison et tentèrent d’en forcer l’entrée ; mais cinq seulement réussirent dans ce coup de main. Les autres furent repoussés par l’ennemi, qui, promptement remis de sa surprise, referma la porte et la barricada intérieurement.

Par suite de ce contre temps, cinq de nos camarades se trouvaient en cet instant aux prises avec toutes les forces du poste. L’un deux tomba bientôt, percé de dix sept coups de baïonnette. Nous entendions du dehors le combat inégal qu’ils soutenaient. Il était urgent de leur porter secours.

Alexis, l’homme d’affaire de La Vaupière, monta l’escalier extérieur et pénétra dans le logement du capitaine. Celui-ci avait déjà soutenu une lutte vive. Il brandit contre lui son épée formidable. Alexis qui était d’une force peu commune, se jeta résolument sur son adversaire, lui saisit le poignet, et, par un effort énergique, détourna l’arme dirigée contre lui.

Une lutte inouïe, corps à corps, s’engagea alors entre ces hommes ; elle eut peut être tourné au désavantage de l’homme d’affaire, sans l’arrivée opportune d’un de ses frères d’armes, qui abattit le capitaine à coups de crosse de fusil. Ils prirent ensuite ce chef par les pieds et le trainèrent par l’escalier en lui faisant compter les marches avec la tête. Dès qu’il fut descendu, on l’acheva d’un coup de fusil dans le ventre.

Pendant que cette scène se passait au premier, le rez de chaussée était témoin d’une lutte non moins animée. Le reste de notre troupe, sans perdre de temps, avait réuni ses efforts pour une attaque commune et énergique. Un entrebâillement de quelques pouces que nous pûmes faire à la porte nous permit de voir qu’elle était défendue par quelques Autrichiens. Une décharge de vingt coups de fusil partie de nos rangs la fit céder, puis elle tomba sur les corps inanimés de ses défenseurs. Le résultat de cette manœuvre fut décisif. L’ennemi, se voyant incapable de résister, se rendit à discrétion.

Notre triomphe était, dès ce moment complet, mais à quel prix n’était-il pas acheté ! La ferme de La Vaupière présentait un tableau lamentable. Une partie de nos camarades gisaient à terre, pêle-mêle, inertes et ensanglantés. Des blessés nous tendaient la main, faisant entendre des plaintes et des cris déchirants : “Donnez moi du secours … je me meurs … Conduisez moi au village” disaient-ils.
Nous conduisîmes tous nos blessés à REYRIEUX, où nous les fîmes panser par le docteur FOURNIER, qui habitait la localité.

Le lendemain, une escorte conduisait les prisonniers autrichiens à LYON auprès du général AUGEREAU. Ce général, qui déjà était instruit de notre exploit, reçut nos camarades avec bonne grâce et leur offrit même des secours pécuniaires pour retourner dans leur foyer». [Episode de 1814 ou récit de la prise d’un poste autrichien à La Vaupière, commune de Saint Jean de Thurigneux (Ain) – Jean Claude PERRET, Imprimerie et lithographie de JC.Damour, TREVOUX, 1867]

[Le document original partiel (absence des chapitres 2 à 7) est consultable sur le site de la Bibliothèque Nationale de France : gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6297687b/f5.image]

Ce récit est celui d’un homme qui a participé à cette attaque. Il a été publié 53 ans après l’événement, mais il rend bien compte de l’état d’esprit qui régnait à cette époque.

Les faits relatés n’ont pas été vérifiés rigoureusement mais, pour l’essentiel, ils sont confirmés par Ronald ZINS, spécialiste de l’histoire de l’Empire dans son livre « 1814 l’armée de Lyon ultime espoir de Napoléon» page 123 :
«A la fin du mois de janvier 1814, AUGEREAU jouit d’un grand prestige à Lyon tant dans la population que dans l’armée. Son dynamisme a évité le pire et il s’active à mettre son armée sur pied de guerre. Le maréchal organise la garde nationale, structure ses troupes de ligne, appelle les renforts dans tout le Midi et dirige l’insurrection des campagnes. La présence d’une armée régulière commandée par le duc de CASTIGLIONE stimule apparemment la résistance et les exemples de lutte contre l’envahisseur sont nombreux…
A Saint Jean de Thurigneux, dans l’Ain, un détachement de 21 soldats ennemis est attaqué par les habitants qui tuent 12 d’entre eux et capturent les 9 autres ».
[Cf. 1814 L’armée de Lyon ultime espoir de Napoléon, Ronald ZINS, Editions Horace Cardon, Massieux, 1998]